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Moêtchi M'PÂMBU MBUMBE

Moêtchi M'PÂMBU MBUMBE

Hervé PAMBO MBOUMBA


Nguiabeta

Publié par Moêtchi M'PÂMBU MBUMBE sur 3 Juin 2020, 02:09am

Nguiabeta

Mon père souffrait de l’asthme, une maladie très difficile à contrôler et à en déterminer l’origine afin d’appliquer la thérapie idoine.  J’en parle avec gravité car un de mes enfants en souffre, sans que des raisons génétiques ou infectieuses évidentes, en soient la cause. Mais pour le tradipraticien et Nganga, c’est le boulevard de toutes les supputations et interprétations. De façon imagée, les deux spécialités dans une même personne, sont certes complémentaires mais avec chacune sa spécificité : l’une diagnostique et annihile les forces négatives en consultant les esprits, l’autre traite grâce à son expérience de l’usage des plantes médicinales ou aux nouvelles instructions des esprits. Comme dans toutes les situations similaires, il y a des honnêtes gens avec des bons résultats et des charlatans véreux. Notre protecteur et clinicien, vungu de Guiètsu, était de bonne moralité. Nous vivions dans son village, avec là aussi une expérience sociale et communautaire exceptionnelles, tant les imbrications, ethniques, claniques, tribales, spirituelles, nous conféraient à tout instant, aide, soutien, considération et compassion.

Le Nganga n’intervient  pas  avant, une préparation ou une minutieuse observation du comportement social et clinique de son patient et cela peut durer un moment, relativement long, auquel il faut ajouter aussi, le temps de l’observation post opératoire. Il arrive même qu’on y entre, pubère, sans enfant et on en sort,  papa ou maman, dans le meilleur des cas ; mais ça c’est une autre histoire !

Le protecteur vous ouvre toutes les portes du village, vous vous servez dans ses plantations, vous compter dans ses parts. Le poisson ou le gibier était rare dans l’alimentation. C’est ici, l’opposé même de Setté-Cama. Quelques fois, lorsqu’une bête imposante, comme une grosse antilope, était prise au piège, le partage se faisait dans la cour du village. L’animal était dépecé en parts correspondantes au nombre de ses protégés, y compris les malades et les enfants. Les parts ne sont pas constituées  par famille mais par tête. Le proposé au partage, sous le regard vigilant du chef, va remettre à chacun la sienne, en respectant les équilibres dont seul, il a le secret. Aussitôt ce soir là, dans les cuisines, sur les feux improvisés, les senteurs de toutes sortes de mets vont imprégner le village d’une ambiance de fête qui va faire oublier un instant, les moments difficiles de disette, où une alimentation végétarienne s’imposait, malgré tout, avec respect, surtout par ses qualités médicinales. Les patients vont apporter leurs contributions aux travaux communautaires. Ainsi mon père pouvait emprunter le fusil du Chef et suivre la trace des singes-kakou, au béret rouge, dont on entendait les cris joyeux  provenant des plantations situées non loin de là. Moins de dix minutes, après une détonation du calibre 12, le voilà de retour lesté d’un ou deux beaux spécimens qu’il va déposer dans la cour pour le partage.

Ma mère avait emmené avec elle, sa machine à coudre de marque Singer. Elle devait être très souvent sollicitée aussi. Elle taillait, cousait, rapiéçait, confectionnait. Ceux qui pouvait payer avec de l’argent, le faisait avec plaisir en y ajoutant même, à chaque visite d’essayage, des présents en nature.

Lorsque la disette devenait insupportable, nous nous rendions, surtout en saison de basses eaux, au bord de l’Ogooué, situé à une journée de marche du village, pour ne revenir que le lendemain. Nous avons préparé des provisions à vendre, généralement en troc, contre du poisson. Devant la petite lisière servant de débarcadère, nous dressons là notre campement fait de branchages. L’attente était parfois longue et meublée du seul  chant des oiseaux. Parfois c’était le  bruit s’accroissant, d’une pinasse qui semble remonter péniblement le fleuve en direction de Lambaréné et dont le son du monocylindre répètait inlassablement sur son sillage, “namb’atôtô, namb’atôtô, namb’atôtô“ (onomatopée des deux N’komi, imitant le bruit que ferait la cuisson – namba -  des bananes cochons – atôtô). Nous hélons la moindre petite embarcation de passage, en espérant que ce soit un pêcheur qui lui aussi  recherche des denrées autres que du poisson. Au premier accostage, la tractation s’annonce âpre et laborieuse, ma mère se révélait, redoutable au marchandage. En fin de compte, nous avions ce qu’il fallait : des belles pièces de gros poissons. On s’empresse de leur donner un premier fumage sur place. Avant de regagner le village, nous marquons un arrêt chez un vieux n’komi (client de notre couturière), qui s’est spécialisé dans la fabrication de l’huile de palme et du savon.

Que nous rapportait notre statut spirituel de jumeaux ? Apparemment pas grand-chose. Une fois, nous trouvant en forêt, alors que nous traversions une zone un peu marécageuse, nous fûmes soudain surpris d’apercevoir une grosse antilope couper notre chemin et s’enliser dans la boue,  vingt mètres plus loin à notre droite. Elle se débattait là pour en sortir et nous, complètent abasourdis et effarés, ne possédant qu’une machette, nous fûmes incapables de nous en approcher. Finalement, au bout de une à deux minutes, elle pu s’en extraire et s’enfuit lentement, nous laissant là pantois et presque apeurés. Lorsque nous racontâmes cette anecdote au village, ce fut la stupéfaction mêlée de regrets en ces termes : «mais les génies des jumeaux vous ont donné de la viande!». Il n’en fallait pas plus pour accentuer notre désolation.

Nous n’allions pas à la pêche, dans les petits étangs, sans avoir au préalable exécuté quelques incantations. Malgré cela, il y a des fois où nous rentrions le soir, bredouille, sans le moindre tilapia ! « C’est de la faute aux jumeaux » disait-on, sans la moindre méchanceté cependant.

Je fus circoncis  là-bas par le très célèbre tradi-chirurgien,  Mukèsse, dont la devise, perverse, au cri  de son nom (kumbu), était : ma boti a magu, mabi bi a mami (tout le plaisir pour toi et tout la mal pour moi).  Mon jumeau, une fille, en réclama, une aussi. C’était compliqué non ? On trouva un compromis en lui perçant les oreilles le lendemain. (Ah ! Yènô !).

Pour le Nganga, Le moment de l’intervention est arrivé. Il a prophétisé qu’au préalable, il faut organiser une  séance de coupure de la corde mystique qui entenaille, le corps du patient au niveau de la taille, neutralisant ainsi les effets des soins qui lui seraient administrés. Donc, une veillée couvrant toute la nuit jusqu’au matin (ngozé) est nécessaire. Aussi nécessaire qu’il faut autant, mettre en place toute l’organisation de ce rituel avec la plus grande minutie. On prévient les artistes qui doivent à leur tour s’assurer du bon état de leurs instruments : tamtams, obaka, cithare, corne, arc musical, choristes, danseurs. On décore le temple des cérémonies (Mbandja) : de guirlandes végétales, de rameaux, de torches en résine d’okoumé. On a fait au préalable, la pêche, la chasse et la récolte dans les plantations. On a mis à terre, des palmiers pour le vin de palme, coupé et pressé la canne à sucre pour le vin de canne (macôbô ou mussugu). On a fait des incantations pour éloigner la pluie, les perfides sorciers, etc. Enfin, tout est prêt pour le jour J.

Dés la tombée de la nuit, le village est en effervescence, tous les acteurs et invités ont mangé et bu, ils se sont ensuite parés de leurs costumes de cérémonies, décorés de peaux de bêtes, de grelots et de gris-gris  protecteurs. Ils ont enduit leurs corps de peintures argileuses, blanc et rouge, ornées de motifs variés. La veillée peut commencer sur un fond de musique à la harpe et à l’arc, précédant les chants, les percutions, les battements de mains et les pas de danse.

Le patient est assis sur une natte à même le sol. Il est maquillé des mêmes apparats  que les autres, à la seule différence qu’il est enduit d’onguent et une corde tressée avec du fil de papyrus, ceint sa taille et symbolise celle, mystique, qu’on va couper. Le spectacle va faire entrer en scène tantôt : des danseurs, des voyants, des exorcistes, qui sont pour la plus part, des adeptes des grands rites initiatiques (bwiti, muiri, ilombu, Mbôyu, mugulu, mukudji). Ces forces spirituelles, s’exprimant par l’entrée en transe des personnes physiques qui les incarnent.

Le ganga va visionné de nouveau et déterminé l’origine du mal : son patient a été empoisonné, pendant son enfance, par une substance qu’on lui aurait administrée par voie orale. Elle s’est développée au fur à mesure dans son thorax en ayant prit la forme, tantôt d’un chat, tantôt d’une panthère ! Il faut lui faire vomir ce poison. Un autre rituel plus simplifié sera organisé, le plus tôt possible pour çà.

Dans la foulée, d’autres patients avides de révélations mystiques, reçoivent leurs diagnostics des esprits eux-mêmes, ce qui est un gage de fiabilité et une occasion pour le ganga d’interner d’autres malades avec leurs familles. Les retombées sociologiques et économiques sont diversement appréciées en fonction des appartenances tribales ou ethniques. Un patient d’une communauté très différente sur le plan linguistique, peut trouver grâce ailleurs que chez lui et offrir en contrepartie, un savoir faire, dont s’enrichira inexorablement ceux qui l’on guérit ou adopté.

L’état de transe, pendant lequel l’esprit prend les commandes du corps, va décupler, ses aptitudes physiques et psychiques. L’individu va se transcender. Il peut alors, traverser, un fleuve, une mer, un feu, une forêt, se transporter instantanément en un lieu donné (à Paris par exemple) et revenir.

Cela explique d’ailleurs, dans la mythologie Loango, comment Tchitomi tchi Bunzi, arrivait à bout des obstacles comme : la traversée de Zadi (fleuve Congo), du Kwilu, de la Numbi, de la Banio et de bien d’autres exploits de guerre  ou de portée sociale et humanitaire.

Pour l’heure, la nuit s’est installée profondément. A la plénitude de la communion parfaite des sons et des esprits, le ganga va couper la corde, par un geste symbolique, avec son couteau. La voyance attestera de la réussite de l’opération, si besoin.

Les danseurs sous l’ivresse conjuguée, de la musique, des hallucinogènes (iboga) et du vin de canne,  vont faire éclater leurs corps - jusqu’au lever du jour,- au travers de développés  chorégraphiques de très hautes qualités.

Dans la matinée, chacun va regagner chez soi après s’être partagé les dernières victuailles et le vin de palme (mbule), traie le matin même. Il n’y aura, ni per diem, ni cachet, la solidarité étant la règle générale de mise.

Le tradipraticien va prendre la relève afin d’appliquer aussitôt le traitement prescrit. On a parlé de faire vomir le malade. Il est indispensable pour cela de rechercher maintenant les composants nécessaires à la préparation du médicament et éventuellement, des thérapies associées. Le soigneur va établir dans sa tête, l’ordonnance  de son  malade, en récapitulant les remèdes et les posologies. Il est aussi le pharmacien. Dans la forêt équatoriale toute proche, il dispose de toutes sortes de plantes composant depuis des millénaires, la pharmacopée traditionnelle. La maitrise de la connaissance des plantes médicinale est étroitement liée à deux facteurs importants : la transmission héréditaire et l’initiation.

Le soigneur à fixer la date de l’intervention, pour dans six jours en tenant compte certainement de la composition chimique et des principes actifs de ses plantes.

Six jours avant, le voilà parti en forêt avec dans son panier : hache, machette, coutelas, miel, vin, liqueur, cendre, torche indigène. La forêt le connait bien et réciproquement.  Dans le cas contraire, il a l’obligation de se présenter en citant ses filiations de clan et de tribu. Arrivé au pied d’un arbre magistral, sorte de représentant de toute la faune et la flore environnante, il va déposer là, tous ces présents et se livrer au rituel de dédouanement en présentant ses offrandes  aux esprits (miel, vin, liqueur), tout en proférant des incantations et  des prières. Il va cueillir des feuilles et prélever de racines  sur des arbustes. Sur des arbres plus grands, il va tailler et détacher les écorces. Les plaies occasionnées seront enduites de miel et saupoudrées de cendre, en guise de pansement. Les provisions ainsi faites vont être ramenées au village et sélectionnées par type de thérapie : antiasthmatique, gastro-entérique, vomitif.

Les jeunes pousses de feuilles, pilées, imprégnées d’huile de palme et de miel et ensuite attachées en paquet et réduites lentement au feu de cendre, serviront pour soigner les infections respiratoires collatérales.

Les feuilles, écrasées et imprégnées de graisse de boa, serviront pour les onguents à frictionner au thorax.

Les fruits secs qui sont brulés et utilisés comme bain fumigène à inhaler.

Les écorces  bouillies et refroidies, serviront pour la prise en décoction contre  l’asthme. Les écorces macérées  dans un grand récipient pendant deux jours, dont le liquide servira de vomitif. Le grand jour est celui de la séance vomitive. Il est de loin, le moment le plus spectaculaire et le plus pathétique du traitement.

L’affluence est des plus ordinaire, voir intime. Le patient va ingurgiter dans son intérieur, supposé imprégner l’estomac et les poumons,  la décoction vomitive par  vague de cinq litres environ chaque fois. Ensuite, il va la vomir. Une épreuve difficile faisant penser par moment à une torture par noyade. Le patient va chercher chaque fois sa respiration, avec le regard hagard d’un vrai supplicié. Ceux qui l’observent, vont croire naïvement le voir vomir, un chat ou une horreur quelconque. Mais rien, jusqu’au bout de la cinquième tentative, avant la perte de connaissance. Tout juste des broutilles de cheveux, des ongles, des fragments d’ossements, dont le tradipraticien devra se contenter. Optimiste, il laissera entendre que, le monstre a été sérieusement ébranlé  et sortira probablement par la voie rectale.

On ne pouvait mettre en doute le traitement, constatant un léger mieux de l’état de santé du patient, et d’autant plus qu’au retour en ville, le traitement de maintient va être poursuivi.

Nous quitterons, Nguiabeta avec un peu de regrets.

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